Droit de vote des femmes : nous poursuivons la lutte !

Cela fait 50 ans que les Suissesses ont le droit de vote à l’échelle nationale. Avec Anna Maria Koukal, post-doctorante auprès d’UniDistance Suisse, nous revenons sur cet événement historique.

Il a fallu deux votations populaires pour que les hommes accordent le droit de vote aux femmes. En 1959, le projet a lamentablement Ă©chouĂ© : deux tiers des hommes Ă©taient contre. C’est seulement en 1971 que le projet a Ă©tĂ© acceptĂ©. En 12 ans, qu’est-ce qui a changĂ© dans la tĂŞte des hommes ? Comment les femmes sont-elles parvenues Ă  s’imposer ?
« En plus des deux votations populaires, il y a eu près de 100 votations sur l’introduction du droit de vote des femmes sur le plan cantonal. C’est l’une des raisons pour lesquelles certains soupçonnent la dĂ©mocratie directe forte et le fĂ©dĂ©ralisme d’avoir favorisĂ© un groupe d’hommes Ă  l’esprit Ă©troit. D’ailleurs, mĂŞme un Ĺ“il impartial discerne le rĂ´le de la dĂ©mocratie directe. La Suisse, lanterne rouge du droit de vote fĂ©minin, dispose de la dĂ©mocratie directe la plus solide du monde. Il faut dire aussi que la position du Conseil fĂ©dĂ©ral et du Parlement Ă©tait très diffĂ©rente de celle des citoyens masculins. Les premiers s’étaient dĂ©clarĂ©s en faveur de l’introduction du droit de vote des femmes en 1959 dĂ©jĂ , tandis que les hommes suisses s’y Ă©taient clairement opposĂ©s Ă  66,9%. En 1971, l’introduction du droit de vote des femmes a mĂŞme fait l’unanimitĂ© au Conseil des États et au Conseil national. Cette annĂ©e-lĂ , les Ă©lecteurs les ont suivis Ă  65,7%.

Les parlementaires sont-ils donc plus favorables aux femmes que les hommes lambda ?
Avec l’introduction du droit de vote des femmes, les citoyens masculins ont brusquement dĂ» tirer un trait sur une importante part de leur influence politique. Ă€ l’inverse, le Conseil fĂ©dĂ©ral et le Parlement n’ont pas dĂ» faire de concessions les touchant directement. Aucun conseiller fĂ©dĂ©ral ni conseiller aux États impliquĂ© dans les dĂ©cisions de 1959 et de 1971 n’a Ă©tĂ© Ă©vincĂ© par une femme ensuite. Et cela n’a Ă©tĂ© le cas que pour quelques conseillers nationaux tout au plus. De mĂŞme, en 1971, ils ne craignaient pas particulièrement d’être sanctionnĂ©s ensuite par leurs Ă©lecteurs masculins. Du point de vue de la tactique politique, il valait mieux se faire bien voir par les nouvelles Ă©lectrices fĂ©minines que dĂ©fendre une minoritĂ© des votants masculins. Cela explique les rĂ©sultats des votations au Conseil national et au Conseil des États. Cela dit, si l’unanimitĂ© a Ă©tĂ© atteinte, près d’un quart des conseillers Ă©taient en rĂ©alitĂ© absents. L’apparente sympathie des parlementaires envers les femmes reposait donc Ă©galement sur une spirale du silence ou, pour le dire autrement, sur un empressement Ă  faire la volontĂ© des futures Ă©lectrices. Â»

La dĂ©mocratie directe a donc constituĂ© un frein Ă  l’introduction du droit de vote des femmes ?
« Oui, parce qu’on a demandĂ© l’avis de ceux qui avaient quelque chose Ă  y perdre. De notre point de vue, une question encore plus intĂ©ressante est de savoir si la dĂ©mocratie directe a Ă©galement influencĂ© le comportement de vote des hommes. Ă€ première vue, certains Ă©lĂ©ments le laissent supposer : dans les cantons francophones de Vaud, de Neuchâtel et de Genève, oĂą les droits dĂ©mocratiques directs Ă©taient assez peu Ă©tendus, les hommes se sont prononcĂ©s en faveur du droit de vote des femmes sur le plan cantonal en 1959 et en 1960 dĂ©jĂ . Ă€ l’inverse, les hommes du canton d’Appenzell Rhodes-IntĂ©rieures – oĂą se pratique la « Landsgemeinde Â» â€“ ont mĂŞme dĂ» ĂŞtre contraints en 1990 Ă  l’acceptation par le Tribunal fĂ©dĂ©ral.

L’introduction tardive du droit de vote des femmes en Suisse ne signifie cependant pas que de manière gĂ©nĂ©rale, la dĂ©mocratie directe nuise Ă  certains groupes. Nos rĂ©sultats montrent davantage que dans une dĂ©mocratie directe bien ancrĂ©e, le prix Ă  payer pour l’extension du droit de vote semble plus Ă©levĂ©, justement parce que l’influence de chacun y est très forte. Mais la dĂ©mocratie directe renforce aussi la propension des citoyens Ă  s’engager en faveur des droits dĂ©mocratiques d’autrui pour autant que cela ne rĂ©duise pas la valeur de leurs propres droits. Ces observations ne suffisent toutefois pas pour comprendre le vĂ©ritable rĂ´le de la dĂ©mocratie directe dans l’introduction tardive du droit de vote des femmes. Au final, d’autres facteurs tels que la culture, la religion, l’urbanisation ou l’intĂ©gration dans le marchĂ© du travail ont aussi jouĂ© un rĂ´le Ă  cet Ă©gard.

Qu’analysez-vous en dĂ©tail dans votre recherche ? Étonnamment, les rĂ©sultats des près de 100 votations sur l’introduction du droit de vote des femmes ayant eu lieu entre 1919 et 1990 n’ont jusqu’ici pas Ă©tĂ© rĂ©pertoriĂ©s ni analysĂ©s de façon systĂ©matique.
« Nous comblons cette lacune avec nos recherches dans la mesure oĂą nous numĂ©risons les rĂ©sultats de ces votations sur le plan communal et en faisons une analyse Ă©conomĂ©trique. Nous sommes ainsi en mesure d’observer de quelle manière l’acceptation des hommes a Ă©voluĂ© au fil du temps et comment la soliditĂ© de la dĂ©mocratie directe s’est rĂ©percutĂ©e sur l’acceptation du droit de vote des femmes. Les analyses les plus fiables s’appuient sur des donnĂ©es communales. L’échantillon est ainsi suffisamment Ă©tendu pour contrĂ´ler l’influence de nombreux facteurs et il permet d’appliquer la mĂ©thode des doubles diffĂ©rences et des rĂ©gressions avec des effets fixes pour l’époque, les cantons ou les communes. Ainsi, nous incluons des facteurs dont l’observation directe est impossible, mais qui ont jouĂ© un rĂ´le dans l’acceptation du droit de vote des femmes, comme la tradition politique d’un canton.

Dans le cadre d’un travail de recherche, nous avons rĂ©cemment analysĂ© l’engagement politique des femmes et des hommes après l’introduction du droit de vote des femmes au niveau cantonal en 1959. Il est intĂ©ressant de constater que le taux de participation des femmes avoisinait seulement 15% au dĂ©but avant d’augmenter peu Ă  peu avec le temps, et ce de façon un peu plus marquĂ©e dans les communes oĂą la dĂ©mocratie directe Ă©tait solidement ancrĂ©e. On observe aussi qu’avec l’introduction du droit de vote des femmes, la politique semble avoir perdu de son attrait pour les hommes. Â»

Vers l’article paru Ă  ce sujet dans le magazine Schweizer Monat

 

PERSONAL TALK

À quel niveau sommes-nous encore en retard en ce qui concerne l’égalité ?
Ces dernières années, le débat concernant l’égalité est devenu toujours plus vaste et diversifié. Il est par conséquent un peu moins axé sur les différences classiques entre les sexes. En Suisse et dans d’autres démocraties occidentales, l’égalité formelle est en place dans la plupart des domaines. Sa mise en œuvre concrète reste cependant difficile à quantifier. L’un des grands défis à cet égard est de distinguer les préférences (par ex. pour certaines matières scolaires, pour certains secteurs professionnels, pour certains produits, etc.) de facteurs discriminants comme les préjugés. Même dans les domaines sur lesquels les recherches sont nombreuses tels que l’écart salarial entre hommes et femmes, il reste difficile de déterminer la part reposant purement sur la discrimination et non sur des préférences ou des qualifications. Dans ce domaine, la recherche peut encore se développer par le biais d’approches créatives. En pratique, la possibilité de travailler à temps partiel dans des professions traditionnellement masculines et dans des fonctions dirigeantes peut encore être grandement améliorée.

Dans quels domaine l’égalité a-t-elle fait les plus grands progrès depuis 1971 ?
En Suisse, outre 1971, une année décisive pour l’égalité entre hommes et femmes a été 1981 car c’est depuis là que ce principe figure dans la Constitution fédérale. En plus de cette avancée, on constate que les femmes sont désormais représentées dans tous les secteurs économiques et politiques importants. Leur meilleure représentation au niveau politique a d’ailleurs grandement contribué à ces évolutions. Mais comme pour presque tous les changements sociétaux, la cadence des adaptations a ralenti avec le temps et on constate que le chemin de l’égalité s’apparente plus à un marathon qu’à un sprint.

Selon vous, quelles sont les perspectives d’avenir ? En extrapolant à partir des évolutions actuelles de la société, où en serons-nous dans 20 ans en ce qui concerne l’égalité ?
Traditionnellement, les pays nordiques sont les précurseurs en matière d’égalité et il sera intéressant de voir si leurs modèles sont également appliqués dans d’autres démocraties occidentales au cours des 20 prochaines années. Grâce à sa démocratie directe reposant sur une large base, la Suisse dispose d’un instrument solide pour la recherche d’idées et la mise en place d’objectifs sociétaux tels que l’égalité. C’est pourquoi je peux imaginer que dans 20 ans, le débat sur l’égalité sera plus diversifié et inclura d’autres inégalités reposant sur le milieu social, l’origine géographique et l’identité sexuelle en général. En outre, il est envisageable que les partages de poste deviennent plus courants dans de nombreux domaines.

 

Anna Maria Koukal a reçu le prix Genre 2020 pour son travail sur les conditions auxquelles les citoyens et citoyennes sont prêt-e-s à partager leur influence politique avec de nouveaux groupes et quelles en sont les conséquences. Elle a donné une interview sur le thème de la politique suisse et de la participation. Vers l’interview (en allemand).

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